mercredi 1 mai 2019

Horlogerie suisse, art et patrimoine– Une histoire de Barbier, de Musée et de minorités

Figure 01 – Horlogerie suisse – Montre en argent signée BARBIER - De quel Barbier s’agit-il? – (Réf. ARTmedina-tounes)

L’histoire commence par une montre signée BARBIER. Elle finit par une montre signée VACHERON et CONSTANTIN.

Figure 02 A – Horlogerie suisse -  Montre ancienne signée VACHERON ET CONSTANTIN de Genève - (Réf. ARTmedina-tounes)

Au début, je voulais identifier une montre signée BARBIER en ma possession (figures 01), éparpillée parmi la collection privée ARTmedina-tounes.


Figure 01B

Rien que sur le dictionnaire des horlogers et fabricants anciens de montres suisses (en référence au site «fr. worldtempus.com»), ils ne sont pas moins de 5 «Barbier» qui y figurent:
- Barbier C.H, horloger de Genève à la fin du 19ème siècle et successeur de la maison de la marque Zentler frères.
- Barbier Jacques, dit Brunet, horloger à Genève au 17ème siècle avant de s’établir à Lyon en 1669. Il est connu pour avoir formé Etienne Bouvier en 1660.
- Barbier Antoine, mentionné à Genève en 1860 et 1874.
- Barbier Louis, mentionné à Genève en 1862.
- Barbier P, horloger à Genève et dépositaire de la marque Crédo en 1900.
Lequel de ces Barbiers horlogers, ayant exercé à Genève qui pourrait correspondre à la montre en figure 01?

Figure 01 C

En accentuant les recherches, je tombe sur un autre Barbier suisse, non horloger cette fois-ci, de Genève également, mais en rapport étroit avec l’Art et le patrimoine.
Un Jean Paul Barbier qui s’est avéré un «Grand», tellement imbu de culture qu’il m’a fait oublier ma montre par la découverte d’une formidable collection artistique multiethnique, construite à coup d’amour de l’art, ayant comme ligne de conduite le slogan: «Contre l’oubli» des minorités dont la culture est vouée à la déperdition.
Un Jean Paul Barbier dont la destinée a voulu qu’il devienne en 1955 le beau-fils du plus grand collectionneur d’arts primitifs, Joseph Mueller, et qu’il fonde en 1977, le «Musée Barbier-Mueller» installé au numéro 10 de la rue Jean-Calvin à Genève.

Figure 03 - Entrée du Musée Barbier-Mueller à Genève – Suisse, au n°10 Rue Jean Calvin.

Voici des extraits de la présentation de ce musée familial, à partir d’un communiqué de presse:
«
Fondé en 1977, le musée est installé au cœur de la Vieille Ville de Genève. Il a pour vocation de conserver, d’étudier et de publier une collection commencée par Josef Mueller dès 1907 et poursuivie jusqu’à nos jours par ses héritiers.
Cette collection compte aujourd’hui plusieurs milliers de pièces et comprend des œuvres d’art de l’Antiquité tribale et classique, ainsi que des sculptures, tissus, ornements provenant des civilisations du monde entier. Nombre de ces pièces sont considérées comme des chefs-d’œuvre incontournables.
Le musée Barbier-Mueller organise deux expositions temporaires par an, présentant une sélection d’objets de la collection. Seules ces pièces sont visibles par le public.
En outre, le musée Barbier-Mueller s’est acquis une reconnaissance internationale par des expositions itinérantes, des prêts consentis à d’autres musées et par la publication de nombreux catalogues et livres d’art. Trois points essentiels le particularisent :
-      Les collections ont commencé après la Première Guerre mondiale, ce qui explique la forte présence de pièces "historiques", introuvables aujourd’hui.
-      Cette collection privée est la plus importante du monde.
-      Le musée publie constamment de nouveaux ouvrages pour accompagner ses expositions dans le monde (dans une centaine de musées en 37 ans)
».
Figure 04 – Logo « Fondation culturelle - Musée Barbier-Mueller »

Poursuivant son œuvre de bâtisseur, Jean Paul Barbier crée la «Fondation Barbier-Mueller pour la culture», en partenariat avec une autre maison aussi réputée, la «Maison VACHERON CONSTANTIN», l’une des plus anciennes de l’horlogerie suisse, créée depuis 1755.

De cette histoire artistique, comme je les aime, ce qui m’a interpellé à l’émotionnel, c’est le slogan de Jean Paul Barbier résumé en trois mots: «Fondation contre l’oubli».
Sur le site de sa fondation, voici l’introduction qu’il a rédigée en avril 2010:
""
-"En Afrique, quand un vieux meurt, c'est une bibliothèque qui brûle"- 
       Amadou Hampaté Bâ

Cette vérité doit nous hanter. Comment nous, hommes de l’écriture, armés pour conserver le patrimoine de l’humanité, pouvons-nous assister impassibles à l’extinction, à la disparition de mythes aussi riches que le furent ceux de la Grèce ?
Force est de constater que l’immense mouvement des recherches ethnologiques entreprises au XXe siècle s’est surtout focalisé sur les peuples les plus « visibles », ceux qui fourmillaient de richesses culturelles : masques, sculptures, sociétés initiatiques, mythes d’origine complexes, etc. Or il est apparu qu’il existe, parfois à proximité immédiate d’une ville où les anthropologues se rendent fréquemment, de tous petits groupes possédant une forte identité individuelle, et qui restent ignorés.
Au cours de ses trente-trois ans d’existence, le musée Barbier-Mueller a trouvé le temps, et les enquêteurs qualifiés pour en étudier quelques-uns. Néanmoins, rapidement, il s’est avéré que cette activité annexe ne pouvait pas, ne devait pas être poursuivie sur une plus grande échelle par une institution ayant pour principal objectif de faire connaître les qualités plastiques des œuvres élaborées dans le contexte magico-religieux des « peuples sans écriture ». En effet, nombre de ces petits groupes isolés n’ont aucun objet de culte, aucun masque, aucun « fétiche ». Ils n’ont pour eux qu’une étonnante organisation socio-politique, des cultes complexes fondés sur des statues en terre crue, périssables, des préoccupations religieuses aniconiques, bref ! Rien qui puisse être exposé dans un musée, ou peu de choses.
J’espère qu’aucun être humain, aucune religion, aucune culture, si petite soit-elle, ne disparaîtra sans avoir laissé une trace claire.
""
Le 22 décembre 2016, Jean Paul Barbier-Mueller nous quittait pour un monde où sa place d’artiste l’attendait, en laissant un legs inestimable pour le patrimoine mondial. Que son âme repose en paix.

Son slogan «Contre l’oubli» n’a cessé de raisonner en moi.

Il m’a rappelé mes écrits figurant déjà sur ce blog et sur les numéros 01 et 02 de mes cahiers artistiques ARTmedina-tounes, qui mettent en relief des groupes ethniques de Tunisie également oubliés: les berbéro-bédouins, descendants des Libyco-berbères, les premiers peuples d’Afrique du nord, et les Tabarquins d’origine génoise, immigrés en Tunisie depuis 1542 à l’îlot de Tabarka au nord-ouest de la Tunisie.

Des écrits où je me prononce contre leur oubli, mais encore plus, pour le pardon de ceux qui les ont maltraités.

Les berbéro-bédouins, femmes, enfants et hommes, ont été dénudés de leur dignité et offerts nus de par le monde…sur les cartes postales de la France colonialiste.

Figure 05 – Berbéro-bédouine dénudée sur une carte postale éditée en France colonialiste – (Réf. ARTmedina-tounes)

Quant aux Tuniso – Tabarquins, après leur intégration et participation à l’essor économique de la régence beylicale de Tunis durant plus de deux siècles, ils ont subi en 1741 les affres du bagne de Tunis sous le règne d’Ali 1 Bey (1735-1756). En 1756, c’est au tour du bagne d’Alger de les accueillir avant leur libération contre payement de leur rançon par les deux Charles, le roi de Sardaigne et le roi d’Espagne. Et même immigrés en Sardaigne, les Tabarquins ont été capturés en 1798 par les corsaires de Hamouda 2 Pacha Bey (1782-1814) et ont subi encore l’esclavage.

Les groupes ethniques Berbéro-bédouins et Tabarquins n’existent plus en Tunisie. Ne les oublions pas. Leur culture fait partie intégrale du patrimoine de Tunisie.

Les premiers, sédentarisés, ont évolué pour devenir ce qu’on appelle, aujourd’hui, les ruraux, dont la plupart des femmes travaillent dans les champs. Dans des conditions dures pour ne pas dire esclavagistes. Une évolution à la « mondialisation » qui leur a fait perdre beaucoup de leurs coutumes et leur langue ancestrale. Appauvries, elles ne s’habillent plus de la Melia originelle tissée en fils naturels de laine et/ou de coton. Dorénavant, Foulards en dentelle et mufle en plastique. Leurs bijoux en argent, démodés; dont la parure typique aux fibules tient un rang particulier parmi les produits sauvegardés d’ARTmedina-tounes (figure 06); ont été vendus dans les souks à bas prix pour subir les fournaises de recyclage des bijoutiers tout le long de la 2ème moitié du 20ème siècle. Et j’en passe. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à publier les cahiers artistiques ARTmedina-tounes dans l’optique de la sauvegarde et de la promotion de ce patrimoine. L’important, c’est de laisser la trace, comme disait Jean Paul Barbier.
 
Figure 06 – Patrimoine de Tunisie – Bijoux en argent des Berbéro – Bédouins - Parure constituée de chaines en triple rangée, de pendentifs de mains de Fatma et d’un rond lunaire avec étoile à 5 branches. Les extrémités de la parure seront liées aux deux fibules qui vont attacher les bouts de l’étoffe de la Melia sur la poitrine de la Berbéro-bédouine – (Réf. ARTmedina-tounes)

Figure 7 – Patrimoine de Tunisie - Berbéro-bédouine portant la fameuse parure aux fibules nouant les extrémités de l’étoffe de la Melia, de couleur originelle en bleue indigo – Réf. Carte postale du photographe orientaliste Rudolf Lehnert (1878-1948) -

De même que les berbéro-bédouins, le groupe ethnique des Tabarquins n’existe plus en Tunisie. Ce qu’il en reste a fondu dans la population. Le destin des Tabarquins a voulu qu’ils se conservent en se reconstituant ailleurs.

Figure 08 – Patrimoine de Tunisie – Ilot de Tabarka au nord-ouest de la Tunisie, avant sa connexion naturelle au continent par une bande de sable au début des années 1940 – Ce qu’il en reste des vestiges de l’époque Tabarquine est le Fort espagnol au sommet, construit du temps de Charles Quint pour la garnison espagnole de défense de l’îlot – (Réf.ARTmedina-tounes) 

L'évolution des Tabarquins s’est refaite en Sardaigne d’Italie, un peu moins en Espagne où le groupe s’est presque dissous aujourd’hui dans la population et la culture espagnole. Par contre, le groupe de Sardaigne, sur les îlots de Saint Pierre et de Saint Antonio, ne cesse d’augmenter en nombre pour atteindre les 10000 habitants au début de ce millénaire. Le plus remarquable est que leur évolution s’est faite en sauvegardant leurs coutumes depuis le débarquement de leurs ancêtres génois en 1542 à l’îlot de Tabarka, et de leur langue patoise Tuniso-Génoise. Contre l’oubli, ils se commémorent, chaque année, la pêche du Thon de Sidi Daoud qui a contribué, en plus de la pêche du corail, à leur essor et à l’essor de l’économie de la régence beylicale, leur première patrie d’accueil.

Au slogan de « Contre l’oubli », si cher à Jean Paul Barbier, j’ai ajouté celui de « Pour le pardon »:

-      des torts causés aux berbéro-bédouins, par la France colonialiste,
-     et des torts causés aux Tabarquins, par la régence beylicale.

Le «Pardon» de la France colonialiste, je l’ai relancé en 2018 auprès de la présidence de la république française et de son ambassadeur à Tunis et ce, à l’occasion de la visite officielle de M.Macron à Tunis. Sans réponses, pour le moment. Auparavant, je l’ai déjà soulevé dans le n°01 de mes cahiers artistiques ARTmedina-tounes, intitulé: «La fibule berbère, la Melia et le vœu de la paix» (distribué par Amazon).

Figure 09 - Couverture du cahier artistique n° 01 d’ARTmedina-tounes publié chez Amazon.
Voici des extraits de son annexe 04 sur le photographe orientaliste Joseph Garrigues:
«
…ils ont été à l’origine du lancement de la mode de la nudité* sur les cartes postales par le biais des bédouines indigènes. Etaient-ce pour des raisons commerciales pour rivaliser avec les peintres orientalistes qui se faisaient déjà du succès avec les nus? Ou, étaient-ce pour des visées colonialistes avec comme premier objectif l’acculturation par la dégradation identitaire des peuples colonisés ?

*NB: Apparemment, dans une Europe du 19ème siècle encore conservatrice, on ne pouvait pas montrer facilement des européennes, chrétiennes, nues sur des cartes postales. Avec la colonisation et un esprit dominateur rampant et hautain, on pouvait se le permettre avec les indigènes qui se sont même retrouvés exposés derrière des grilles au même titre que les animaux, dans les expositions coloniales en France. Pour amuser la galerie, sûrement. Pour se faire de l’argent facile, certainement. Pour la propagande de la colonisation dominante des peuples indigènes, surtout. En portant un coup énorme à l’honneur et à la fierté des groupes ethniques les plus pauvres et les plus faibles qui, un siècle plus tard, méritent les excuses officielles des responsables colonisateurs.
Fig.116 – Berbéro bédouine dénudée - Carte postale du photographe orientaliste Joseph Garrigues – (Réf. ARTmédina-tounes)
………»

Quant au «Pardon» pour les torts causés aux Tabarquins par la régence beylicale, à ce que je sache, personne n’y a pensé. Dorénavant, je m’y attache. A commencer par le présent article où, en tant que citoyen tunisien, j’exprime peine et compassion à tous les Tabarquins qui ont subi injustement les affres du bagne et de l’esclavagisme. Ne les oublions pas.
Justement, c’est contre leur oubli que j’ai publié chez Amazon le n°02 de mas cahiers artistiques ARTmedina-tounes, intitulé: «Les Tabarquins et le corail rouge de Tunisie».
 
Figure 10 - Couverture du cahier artistique n° 02 d’ARTmedina-tounes publié chez Amazon.

D’histoire en histoire et d’un cahier à l’autre, on va finir par oublier la montre suisse signée BARBIER en figure 01. Je vous laisse le soin d’identifier de quel Barbier s’agit-il? Car, je ne suis pas arrivé à le faire.

Par contre, ce que j’ai pu retracer avec une autre montre signée VACHERON et CONSTANTIN - la maison horlogère suisse entrée en partenariat avec Jean Paul Barbier-Mueller pour la création de la «Fondation Barbier-Mueller pour la culture», comme mentionné ci-dessus -, figure déjà dans un article du présent blog en rubrique « tounes Antiquités». En voici des extraits:
«
mercredi 30 septembre 2015
VACHERON ET CONSTANTIN – Le logo des premiers pas à Genève


Logo d’époque de la maison VACHERON ET CONSTANTIN
(Réf.ARTmédina-tounes - CL08 .01A ; 2X3 cm)

C’est une vieille montre entassée parmi d’autres dans le tiroir…Toutes ont été dénudées de leurs bracelets et le temps leur a fait subir tant de chocs dans leurs « carrosseries » et tant d’émotions à leurs maîtres.


Bloc de montre d’époque de VACHERON et CONSTANTIN.
(Réf.ARTmédina-tounes - CL08 .01B ; 2X3 cm)

Un vulgaire bloc de montre emblématique par son logo de VACHERON ET CONSTANTIN. Il est rectangulaire (2 X 3 cm) et le revers de sa « carrosserie » est de la beauté du jaune d’or. Sans conteste et en son temps, il s’agit d’un bijou de haute classe. Aujourd’hui, il s’agit d’un objet du patrimoine horloger suisse.


Bloc de montre d’époque de VACHERON et CONSTANTIN.
(Réf.ARTmédina-tounes - CL08 .01C ; 2X3 cm)

Ce petit bloc rectangulaire d’apparence « réformée », est une pièce de musée car, en son sein, regorge tant  d’informations technologiques et de savoir-faire d’époque de l’horlogerie suisse.
Des informations épatantes sautent aux yeux des amateurs avertis. Le logo de la fameuse maison VACHERON ET CONSTANTIN, tel qu’il a été conçu par ses premiers maîtres, n’est plus le même.


Logo actuel de la maison VACHERON CONSTANTIN.

Le logo d’aujourd’hui a fait introduire la croix de Malte. En plus, l’élimination du « et » du logo d’époque fait croire que VACHERON CONSTANTIN est une seule personne, alors que le logo originel fait mention aux deux associés : VACHERON ET CONSTANTIN.
»

Monhel
ARTmedina-tounes
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