jeudi 6 février 2020

Rudolf Lehnert – Berbéro-bédouines dénudées: Contre l’oubli


Photographe orientaliste de renommée mondiale, Rudolf Lehnert est né en 1878 en Autriche. Mort en 1948 en Tunisie, son pays de cœur.
Figure 01 – Rudolf Lehnert (1878- 1948) et son appareil photographique de haute technologie de l’époque - (Réf. ARTmédina-tounes; Cahier 01).
Sa technicité remarquable, il la détient grâce à sa formation dans la première école de photographie au monde créée en 1888 à Vienne en Autriche.
Il s’installe en 1904 à Tunis avec son associé Allemand Ernest Landrock chargé de la gestion commerciale de leur entreprise photographique. Entre 1904 et 1914, il photographie la Tunisie, l’Algérie et la Lybie.
A la veille de la première guerre mondiale (1914-1918), il est arrêté pour espionnage, emprisonné et ses œuvres confisquées, avant de se retrouver réfugié en suisse durant la guerre.
En 1924, il s’installe avec son associé au Caire pour photographier l’Egypte et la Palestine. Sa nostalgie et sa passion pour la Tunisie l’incita à s’y réinstaller en 1930 pour ne plus la quitter jusqu’à sa mort en 1948 où il est enterré au côté de son épouse au cimetière de Carthage.
Ses œuvres photographiques couvrent la ville arabe, les rues, les souks, les oasis, les portraits et les métiers sous toutes ses formes dont le plus vieux au monde.
Monhel les classe en deux catégories: les «photos orientalistes identitaires» et les «photos orientalistes de mise en scènes».
Les photos orientalistes identitaires constituent un legs culturel et une référence historique de grande valeur pour le patrimoine multiethnique de Tunisie. Une empreinte identitaire depuis la deuxième moitié du 19ème siècle, coïncidant avec la naissance de la photographie, jusqu’à la fin de la première moitié du 20ème siècle. Des photos permettant de retrouver durant cette période les habits originaux des différents groupes ethniques, leurs bijoux, les métiers, les ustensiles de cuisine, l’architecture…
Figure 02 - Rudolf Lehnert – Bédouine sur carte postale portant l’habit de la Melia de Tunisie, parée de ses bijoux typiques en argent:
- deux fibules rondes en argent liées par une chaine à trois pendentifs, deux mains de Fatma et un rond lunaire, et un talisman
- Collier du raz du cou à trois chaines avec pendeloques à chainettes
- Double foulards retenus avec une chaine au-dessus de la tête dont les extrémités portent deux grandes boucles pendantes en face des oreilles
- Deux bracelets de main, de petite et moyenne largeur
La bédouine est assise sur un banc à coude couvert par une couverture en laine, à côté d’une Charbia (gargoulette) à eau - Carte postale 867 de la marque LL: Lehnert et Landrock - (Réf. ARTmédina-tounes; Cahier 01).
Pour les photos orientalistes de «mise en scène», non identitaires selon la distinction de Monhel, R.Lehnert s’est avéré un scénariste hors pair en produisant une photographie érotique au décor et aux personnages orientalistes.
Les photos de nus de R.Lehnert ont circulé sur cartes postales dans le monde entier et se sont révélé un grand succès commercial. On dit qu’elles ont été mises en scène avec des modèles professionnels issus de maisons closes de Tunis, Alger ou Tanger. Toujours est-il qu’elles ont été produites à but lucratif encouragées par la propagande colonialiste.
Rudolph Lehnert a été parmi les talentueux photographes orientalistes, à côté de Joseph Geiser, Léon et Levy…, qui mettront en scène des berbéro-bédouines dénudées, femmes et enfants, dont les photos à but lucratif serviront à garnir les cartes postales de la France colonialiste. Une France qui a laissé faire lorsqu’il s’est agi de groupes ethniques, musulmans et juifs, indigènes comme ils disent, berbéro bédouines, filles et garçons. Une France qui ne l’a pas permis pour les français chrétiens, filles et garçons… puritains.
Figure 03 - Rudolf Lehnert – Photo d’enfants complètement dénudés – (ARTmedina-tounes)
La question la plus embarrassante a trait à la mise en scène d’enfants nus. Beaucoup de critiques trouvent ces photos et ces cartes postales osées, provocantesde haute qualité technique, mais aussi, offensantes à l’identité arabo-musulmane.
Figure 04 - Rudolf Lehnert – Chef d’œuvre photographique en noir et blanc mettant en relief l’ombre d’une bédouine nue au centre de son Sefsari à voile, à l’entrée du Ouist Ed Dar (Centre à ciel ouvert de maison typique arabe) – Réf. ARTmedina-tounes -
Sans nul doute, Rudolf Lehnert est l’un des plus brillants photographes orientalistes qui ont exercé en Tunisie et qui, par ses œuvres notamment identitaires, a gravé une empreinte artistique multiethnique et inestimable pour le patrimoine de la Tunisie lors de sa période orientaliste.
Figure 05 - Rudolf Lehnert – Photo d’enfant de bédouine dénudée montrant la moitié du sein, parée de deux bracelets en argent à la main et de Khors (Boucles d’oreilles) à tête de serpent aux oreilles fleuries – (ARTmédina-tounes).
Ses cartes postales sont reconnues par la marque L.L, initiales de Lehnert et son associé Landrock, à ne pas confondre avec la célèbre marque plus ancienne L.L de Léon et Levy installés en France.
Figure 06. - Rudolf Lehnert – Photo de type identitaire, selon la classification de Monhel, montrant un tunisien en habit traditionnel et accessoires typiques:
- Djebba de couleur ocre en tissu Stakrouda (Lin), brodée de motifs Naouaras (double motifs de fleur ronde placés en position de poitrine) en fil de coton vert olive, au-dessus d’une chemise blanche et couverte à moitié par un Burnous (Cape) en laine blanche porté sur les épaules
- Chechia rouge sur la tête enroulée par une Kechta (multitude de fils tressés en laine blanche) –
-Fleur Kronfol rouge et un Mechmoum en Jasmin blanc retenus par la Chechia au-dessus des oreilles - 
Réf.Carte postale LL 530 de Lehnert et Landrock (ARTmédina-tounes).
Aujourd’hui, la cote artistique de R.Lehnert est sans cesse croissante. Ses photos traduisent la haute qualité technique du photographe et du metteur en scène. Outre l’aspect technique des photos de R.Lehnert, leur contemplation apporte pour beaucoup, de la passion et du rêve bienfaisant, nostalgique. 
Loin des polémiques causées par l’utilisation des photographies de nus entreprises à une époque donnée, faisant partie de l’Histoire, les œuvres orientalistes, photos et peintures, pourraient constituer une formidable plateforme de communication artistique et culturelle entre les deux rives de la méditerranée, de retombées culturelles et économiques rentables pour la Tunisie diverse et multiculturelle.
Figure 07 – Photo de tunisienne juive aux seins nus, portant la coiffe triangulaire de symbolique juive au-dessus de la tête - Réf. Carte postale orientaliste anonyme (ARTmedina-tounes).
Ceci est pour l’aspect technique et de promotion du patrimoine.
L’aspect négatif, à classer, mais à ne point oublier, est le mal causé aux groupes ethniques des berbéro bédouins, musulmans et juifs, dits indigènes, vulnérables par la pauvreté économique subie et favorisée par la France colonialiste.


Figure 08 – Rudolph Lehnert – Photo d’enfant berbéro-bédouine, complètement nue, parée uniquement de ses bijoux typiques en argent:
-Collier en argent de poitrine avec un rond massif ouvert à chainettes et pendeloques
- Collier en agent du raz du cou à chainettes et pendeloques à moitié caché par un autre collier à perles
– Bracelets de moyenne largeur aux mains
– Khors (Boucle d’oreilles) retenu sur les cheveux –
La musicienne brandit entre ses deux mains le Tar (outil de musique arabe constitué de la peau de chameau étirée et retenue par un rond cylindrique en bois fin d’épaisseur environ 10 cm, troué 5 fois en positions hexagonales; chaque trou retenant 2 à 3 ronds en cuivre, permettant de provoquer au moindre mouvement le son caractéristique du Tar – Réf. Carte postale de R.Lehnert - (ARTmedina-tounes).
Le reproche à ces talentueux photographes et peintres orientalistes est d’avoir profité de la misère des gens pour les dénuder à but commercial et de prostitution, surtout lorsqu’il s’est agi d’enfants, en contradiction avec les concepts de leur culture et en bafouant leur dignité, leur respectabilité. Aidés en cela par l’effet pervers du colonialisme et sa propagande.
Les dénuder pour vendre leur chaire sur les cartes postales partout dans le monde, en leur incrustant en même temps une image de marque irrémédiable de miséreux, au su et vu des autorités coloniales qui laissaient faire lorsqu’il s’est agi « d’indigènes ». Des actes de nudité et de prostitution plus que condamnable lorsqu’il s’agit d’enfants.

Figure 09 - Rudolf Lehnert – Photo d’enfant à moitié dénudé - (ARTmédina-tounes).
Justement, c’est contre l’oubli, pour que cela ne se reproduise plus, qu’il faudrait constamment remémorer ces actes bafouant la dignité et la respectabilité d’autres groupes ethniques, petits ou grands, qui, à un moment donné de l’Histoire, malgré leur passé glorieux, se sont retrouvés vulnérables.
Ce qui s’est passé avec les enfants des berbéro bédouins dénudés sur les cartes postales, tout comme les groupes ethniques africains montrés dans des cages à zoo à Vincennes sous les autorités coloniales françaises, est de la même ampleur intentionnelle de ce qui s’est passé avec le groupe ethnique juif qui a subi la même indignité et, circonstances aidant, le plus pire jusqu’à l’extrême horreur de l’holocauste.
Figure 10 – Photo de femmes et enfants dénudés et exposés sur la Revue Voila du 16 Janvier 1932, avec comme slogan révélateur« Comme il vous plaira - Vierges noires de Djibouti » - (ARTmedina-tounes)
Dans ses cahiers artistiques ARTmedina-tounes n°01 et n°02, intitulés: «La fibule berbère, la Melia et le vœu de la paix» et «Les Tabarquins et le corail rouge de Tunisie», publiés en 2015 et en 2017 et distribués sur Amazon.fr, l’auteur demande* aux autorités françaises  qu’il est temps de présenter des excuses officielles aux groupes ethniques colonisés, femmes et enfants, pour le mal causé par la France colonialiste en laissant publier leurs photos nus sur les cartes postales françaises.
Car, sans excuses, nul pardon.
«Contre l’oubli, pour le pardon» est le slogan affiché dans les cahiers artistiques suscités de l’auteur qui renouvelle par la présente sa demande* à qui de droit pour que la France, le pays de la déclaration des droits de l’Homme, fasse le geste noble de s’excuser pour les torts subis par les berbéro bédouins et les dits indigènes, maltraités et offensés dans leur dignité.
Le « Contre l’oubli » sera toujours dans nos mémoires et le doigt toujours pointé sur l’Hexagone colonialiste pour que l’infâme indignité ne se reproduise plus.
Nous avons parlé de la manipulation malsaine à travers les cartes postales française de nus des berbéro-bédouins, femmes, hommes et enfants.
Nous n’avons pas encore parlé des objets d’Arts détournés par la France colonialiste et toujours exposés dans ses musées, sans honte et sans dignité.
Monhel
ARTmedina-tounes
Copyright

*Lors de la visite d'Emmanuel Macron à Tunis en 2018, et toujours dans sa démarche de «Contre l’oubli, pour le pardon», l’auteur a renouvelé sa demande par mail au cabinet présidentiel de l’Elysée et à l’Ambassade de France à Tunis, restée toujours sans réponse.