Si je parle de ces deux palais beylicaux c’est, d’abord, parce
que la photo du palais Essrarfia n’apparaissait pas dans l’intéressant article de
Mohamed El Aziz Ben Achour publié chez Leaders le 24.7.2021, intitulé :
« Tunisie - La villégiature au temps
des Beys » .
Ensuite, parce que la dénomination du palais Mohammedia, telle
que citée dans l’article ci-dessus, est à mon sens une dénomination erronée,
voire usurpée depuis Mhammad Bey (1855-1859), puisqu’il s’agit en fait du
palais bâti par Ahmed 1er Bey (1837-1855) et qu’il devrait être
dénommé plutôt Al Ahmedia. Je profite de cette occasion pour lancer un appel
aux historiens et aux responsables concernés pour corriger cette « usurpation »
historique qui dure depuis plus d’un siècle et demi.
Revenons à notre historien Mohamed El Aziz Ben Achour et à son article attrayant
par ses multiples photos de belles demeures beylicales, dont voici la référence
« https://www.leaders.com.tn/article/32191-tunisie-la-villegiature-au-temps-des-beys » et à qui j'adresse ci-après de saines remarques non désobligeantes, car loin de la polémique.
De par ma formation scientifique, je ne peux qu’assimiler
les propos de notre éminent historien universitaire M. Ben Achour. Toutefois,
il est toujours utile de débattre de vues différentes, d’autant plus que
l’Histoire n’est pas une science exacte.
M. Ben Achour, vous semblez toujours irrité par le point de vue
qui dit que le palais d’Ahmed 1 Bey (1837/1855) à Al Ahmedia (non Al Mohammadia et ceci est un autre point
de vue) est d’inspiration architecturelle européenne à la Versailles :
« … la chronologie est là pour démentir une soi-disant volonté
d’Ahmed Bey d’imiter le Roi-Soleil. La Mohammedia a été achevée et 1842,
c’est-à-dire quatre ans avant le voyage du prince tunisien en France »
L’argument de la chronologie de la date d’édification du
palais en 1842 précédant le voyage d’Ahmed 1 Bey en France en 1846 ne tient pas
debout. Pour la simple raison qu’il n’est pas nécessaire de visiter Versailles
pour s’en inspirer.
Versailles a été édifié deux siècles auparavant et ses
merveilleuses fontaines émerveillaient les grandes monarchies du monde. Ses
plans architecturaux et la technologie de ses fontaines s’étudiaient déjà dans
les grandes écoles.
Ahmed 1er Bey, dit le Bey Sarde, n’avait pas
besoin d’y aller sur place pour pouvoir édifier son palais à la « Versailles ». Il a fait appel à
l’ingénieur Charles Benoit recruté en 1837 pour se charger de son édification (1)
et de l’ensemble des réalisations industrielles tout près des sources d’El Medjerda
qui ont duré jusqu’à 1854, date du décès de Charles Benoit, une année avant
celle d’Ahmed 1er Bey.
A la mort de ce dernier, le cousin successeur Mohamed 2
Bey (1855-1859), dit Mhammad Bey, rancunier et débauché, déjà jaloux de la
capacité d’entreprendre du Bey réformateur dit le Bey Sarde, a entrepris une autre
politique de « destruction » des acquis du plus grand réformateur des
beys de Tunisie et de son bras droit Mahmoud Ben Ayed, le bâtisseur de la
vallée industrielle d’El Battan sous la supervision technique de l’ingénieur
Charles Benoit (1, 2).
D’ailleurs vous confirmez indirectement en disant « … à
la mort du pacha, son successeur et cousin Mhammad fit transporter le mobilier
et démonter l’essentiel des éléments d’architecture et de décor pour le palais
de La Marsa. Ce qui subsista ne tarda pas à tomber en ruine ».
Mhammad Bey n’a pas uniquement
dévalisé le palais d’Al Ahmedia, mais également les biens de la famille Mahmoud
Ben Ayed dont le palais de son père Mohamed Ben Ayed situé à Gammarth et que
vous avez cité en tant que propriété du fils Mahmoud. Le palais de ce dernier
est la résidence actuelle de l’ambassadeur d’Angleterre. Un superbe palais et
jardin confisqués par Mhammed Bey et offert à l’Angleterre de la reine
Victoria, gratis.
Sur ce point, il est bon
de rappeler aux lecteurs que Mahmoud Ben Ayed [dont je me demande s’il était
escroc, victime ou les deux à la fois (2) (3) ] était assez aisé avant sa nomination par Ahmed 1er
Bey, grâce à la fortune colossale de son père Mohamed, grand corsaire au
service des Beys successifs Mahmoud (1814-1824), Hussein 2 Bey (1824-1835) et
Mustapha Bey (1835-1837). Hussein 2 Bey n’a pas hésité à nommer Mohamed Ben
Ayed, corsaire mais lettré, ambassadeur à Paris suite à l’arrêt imposé de la
Course après 1927.
Ahmed 1er Bey
est connu pour son admiration de la civilisation européenne, sans pour cela
nier la grandeur de l’héritage arabo islamique que ce soit en science, en
philosophie ou en architecture. Les merveilleux palais andalous aussi
majestueux que le palais de Versailles en témoignent.
En fin de compte, sans
faire appel à l’argument de la chronologie, il suffisait de s’adresser à un
architecte d’Art pour confirmer la conception architecturale, arabe ou
européenne, du palais d’Al Ahmedia.
Laissons à côté cet aspect
formel sur l’architecture, car ce qui importe le plus est l’aspect lié à la
sauvegarde de notre patrimoine. Vous l’avez bien dit en
conclusion : « "----Au plan du patrimoine national, cette
époque nous a légué de superbes témoignages d’architecture de plaisance, ainsi
que de l’art des jardins. A nous de les conserver et de les exploiter à bon
escient. ».
A ce propos, permettez-moi
quelques observations :
-Vous avez eu l’opportunité d’agir vigoureusement pour la
« conservation » et « l’exploitation » de ce patrimoine lorsque
les occasions se sont présentées à vous en tant que haut cadre de Bourguiba et
surtout de Ben Ali qui voulait valoriser les Beys par pique à Bourguiba.
En fait, même en tant que Ministre chargé de la Culture
durant plus de 4 ans, nous n’avons vu ni exploitation, ni restauration des
demeures beylicales restées en ruine à ce jour. Ni conservation, ni liste transparente publiée des objets
des Beys (Tableaux, Bijoux, Mobilier,…), même ceux dont vous parlez dans un article précédent (Référence : «https://www.leaders.com.tn/article/31079-mohamed-el-aziz-ben-achour-un-palais-emblematique-du-despotisme-oriental-al-qasr-al-said »)
et que vous avez sortis de dépôts lugubres et de garages à l’abandon pour les
restaurer et les emmagasiner à Ksar Said.
Permettez-moi de dire que votre restauration du carrosse
du Bey est une calamité de mauvais goût et d’un manque de savoir-faire
artistique. Un carrosse peint au blanc avec apparemment de la peinture usuelle,
sans dorure, n'est pas digne du prestige beylical et ne peut servir qu’à transporter les touristes de plage.
A travers vos propos, vous avez parlé de négligence et
d’un laisser tomber en ruine des demeures beylicales….et à aucun moment vous
n’avez éclairé les lecteurs sur les responsables historiques de la destruction
de ces palais et du vol de leurs mobiliers. En l’occurrence, la politique
rancunière vis à vis des Beys de la part du despote éclairé Habib Bourguiba qui,
nous le reconnaissons, a fait beaucoup mieux en politiques de santé,
d’éducation, de planning familial et de libération de la femme.
-Vous avez présenté un ensemble bien vaste de palais des
Beys et demeures de villégiature, mais vous avez omis, dommage, de parler du Palais ou Dar Ben Achour de Marsa Ville, héritage de votre ancêtre maternel Bouatour
dont vous portez le prénom Mohamed Aziz grâce, sans doute, à votre père
Abdelmalek, frère de notre illustre Uléma Mohamed Fadhel Ben
Achour.
Ministre de la plume de Sadok Bey (1859-1882) de 1864 à
1882, puis Grand Vizir de 4 Beys successifs de 1882 à 1907, Mohamed Aziz
Bouatour a battu les records de longévité à la gouvernance beylicale grâce sans
doute à ses compétences et… selon les langues fourchues, à sa soumission au Résident
Général de France.
Votre ancêtre maternel est né dans la maison familiale
des Bouatour de la rue du Pacha à Tunis, l'actuelle bibliothèque Dar Ben Achour
et il est décédé à la Marsa au palais rebaptisé Dar Ben Achour, propriété initiale
du médecin italien de Sadok Bey et qu’il a racheté lorsque le Bey Ali 3
(1982-1902) s’est installé à la Marsa.
Terminons avec le palais Al Ahmedia avec une photo sur
carte postale prise en 1878, tombée dans le domaine public, dont voici la
présentation en figure 119 du cahier artistique ARTmedina-tounes n°03 ci-dessus
mentionné (3):
(1)
Anne Marie Planel, 2004, « Les
ingénieurs des beys de Tunis : experts des réformes du 19ème
siècle ? http:// books.openedition.org/irmc/1575 #ftn30 p.143-152
(2)
Observation : La source du grand
historien Ibn Dhiaf contemporain des Beys Mohamed 2 et Mohamed 3 ne peut pas
être une source fiable en ce qui concerne le conflit de ces Beys avec leurs
prédécesseurs Ahmed 1er Bey et Mahmoud Ben Ayed
(3) Cahier artistique ARTmedina-tounes n°03
intitulé : « Système monétaire de la régence de Tunis 1574-1891 », Monhel, édité
en 2020 et distribué par Amazon.
N.B : Une coquille
s’est glissée dans l’article à propos de la date de fin de règne d’Hussein 1er
Bey: 1735 au lieu de 1740.
Monhel
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