mardi 10 septembre 2019

Patrimoine de Tunisie contre l’oubli - Dougga - Inscriptions Libyco-berbères


Figure 01 - Patrimoine de Tunisie – Site antique de Dougga – Mausolée Libyco-berbère d’une hauteur de 21 mètres, restauré en 1910 par l’archéologue français M.Louis Poinssot qui a pu, à force de détermination et de patience, reconstruire les deux derniers étages de la pyramide du Mausolée à partir des pièces éparpillées sur le sol. Pour sa restauration, M.L.Poinssot s’est référé à un rare dessin du Mausolée établi en1765 par M.J.Bruce (01) – (Réf.ARTmedina-tounes)

Dans le cadre de mes travaux de recherche relatifs à la lutte contre la désertification, en concrétisation de l’un des axes du programme de travail de l’entreprise APTEC-tounes*, j’ai abouti à une première classification de plantes et arbustes ayant des capacités surprenantes pour la multiplication et la résistance aux conditions climatiques extrêmes.
Figure 02 – Plante grasse, résistante au manque d’eau et à la chaleur, ayant une forte capacité de multiplication – (Réf.APTEC-tounes)
La plus étonnante de ces plantes (figure 02) m’a causé des difficultés d’identification, n’étant pas moi-même spécialiste en la matière. Lors de son étude, le soir même, je découvre ébloui à travers un documentaire TV, la passion des plantes et le penchant culturel et archéologique de son Altesse royale, le prince Charles de Galles, héritier du trône d’Angleterre. Je me suis dit que son Altesse est peut-être capable de déterminer l’origine de ma plante, une simple plante grasse, censée freiner l’avancement du désert. Le lendemain, mon intention d’importuner le prince oubliée, j’ai vagué à mes préoccupations.
Mais que vient faire ici le prince Charles de Galles et mes travaux sur les plantes, avec le site antique de Dougga ?
C’est la journée mondiale du patrimoine célébrée chaque 18 avril qui m’a curieusement interpellé pour penser en même temps au site antique de Dougga et au prince Charles en liaison avec la passion des plantes.

Figure 03 – Patrimoine de Tunisie – Dougga – Vestiges romains - Réf. Photos: Unesco, G. Camps – (ARTmedina-tounes),
Ma pensée au site de Dougga est liée au tort causé en 1842 par le Consul d’Angleterre à Tunis, M.Thomas Read, qui a porté atteinte au Mausolée en arrachant ses inscriptions bilingues Libyco-berbères et puniques, de haute valeur historique, aujourd’hui exposées au British Museum. Thomas Read, grand navigateur aux ordres de la couronne britannique, est un personnage célèbre en Angleterre et outre atlantique. En France, il est connu pour avoir eu le dessus sur Napoléon Bonaparte et son isolement sur l’ile d’Elbe…En Tunisie, il est plutôt connu, avec d’autres collègues et compatriotes, pour avoir « dévalisé » les sites antiques de la régence. Son penchant pour l’archéologie était son hobby favori qui l’a exercé en Tunisie durant sa retraite dorée, en profitant de l’ouverture d’un Ahmed 1er Bey (1837- 1855), grand réformateur et tolérant envers les religions, mais assez naïf en face de loups qui ont conduit la régence directement dans leurs gueules affamées et au protectorat français. Thomas Read aimait, tout de même, sa Tunisie de cœur où il a été enterré en 1849 au cimetière de l’église anglicane devant l’ancienne porte Carthagène de l’actuelle Hafsia à Tunis.

Figure 4 – Patrimoine de Tunisie – Eglise anglicane construite en 1696 par le Bey Mouradite Romdhane Bey pour enterrer sa mère Maria de confession protestante – réf. Artmedina-tounes
Il est à noter que l’espace de l’église anglicane a été reconstruit en 1901 par les autorités françaises et que le cimetière a été transféré ailleurs. Contre l’oubli, une plaque commémorative indiquant les noms de l’ensemble des tombes a été dressée sur les murs de l’église.
Figure 05 - Patrimoine de Tunisie – Site antique de Dougga – Mausolée Libyco-berbère en l’état de 1842 (1) sous le règne d’Ahmed 1er Bey (1837-1855), avant sa restauration en 1910 (1, 2) par l’archéologue français M.Louis Poinssot sous les autorités du Protectorat français – (ARTmedina-tounes).
Après le désastre de 1842 provoqué par le Consul britannique Thomas Read, ouvrant la voie aux « vandales » de la place, le Mausolée fut restauré en 1910 par M. Louis Poinssot (1, 2). Le débat sur son originalité historique se poursuit encore.
Figure 06 - Dessin des deux derniers étages du Mausolée Libyque de Dougga avant leur démolition, réalisé par le compte Camille Borgia (01).
En 1959, le fils de M. L. Poinssot, Claude, lui-même archéologue, révèle pour la première fois des dessins inédits du Mausolée non portés à la connaissance de son père, entrepris avant l’arrachage des inscriptions bilingues et la démolition des deux étages supérieurs (1). Ces dessins ont été réalisés par le comte Camille Borgia dont la famille a constitué une formidable collection de pièces d’antiquités, aujourd’hui déposées au Musée de Borbonico à Naples, la ville originaire des Borgia.
Il révèle aussi que la restauration de son père s’est faite en référence à un autre dessin du Mausolée original effectué en 1765 par M.J.Bruce (2). La découverte des inscriptions bilingues Libyco-berbères du Mausolée étant faite en 1631 par M.Thomas D’Arcos (2).
Loin des débats stériles sur l’originalité historique du Mausolée Libyco-berbère de Dougga, ce qui est à retenir est que la restauration dans son ensemble est assez proche aux dessins de MM. J.Bruce et C.Borgia. Par contre, ce qu’il ne faut pas oublier est que M. Louis Poinssot est redevable de reconnaissance et d’estime pour son travail minutieux, car, sans sa restauration du Mausolée, le patrimoine mondial aurait perdu un site Libyco-berbère unique en son genre, de par ses inscriptions en double langue Libyco-berbère et punique.
Figure 07 – British Museum – Inscriptions bilingues Libyco-berbères et punique gravées sur la pierre arrachée du Mausolée de Dougga – Réf. ARTmédina-tounes
L’importance des inscriptions Libyco-berbères arrachées par le consul britannique en 1842, réside dans le fait qu’elles soient bilingues, gravées dans la pierre en écritures Libyco-berbère et punique. Ce qui a permis de déchiffrer pour la première fois 22 signes de l’écriture Libyco-berbère qui demeure encore partiellement indéchiffrable.
Ces écritures Libyco-berbères sont aussi importantes parce qu’elles représentent la preuve matérielle que le peuple Libyco-berbère d’Afrique du nord a constitué une civilisation de l’antiquité au sens des critères de la définition universelle d’une civilisation, c’est-à-dire, un peuple maîtrisant une langue parlée et écrite, en plus de la possession d’un lieu géographique. Au même titre que les civilisations Grecques, Carthaginoises ou Romaines qui le considéraient comme un ensemble de tribus sauvages incapables de se gérer en Royaume-Etat, en balayant sa culture et en le poussant à l’oubli.
Figure 08 – Site antique de Dougga - Char à quatre chevaux tirés par un Libyco-berbère gravé dans la pierre du Mausolée - (ARTmedina-tounes)
Le Char à quatre chevaux tirés par un Libyco-berbère gravé dans la pierre du Mausolée de Dougga, que l’on retrouve également dans les vestiges Libyco-berbères de la dorsale du Fezzan Libyen, témoigne que la civilisation Libyco-berbère a atteint le même degré de développement que la civilisation voisine des Pharaons d’Egypte, bien avant l’émergement des civilisations Grecques, Carthaginoises et romaines.
Figure 09 – Peinture de Char antique attribué à la civilisation Garamante, peuple libyco-berbère du Sahara du Fezzan Libyque – (Réf. Gabriel Camps)
A ce sujet, les grottes du Sahara regorgent de preuves, figures et inscriptions Libyco-berbères témoignant du passage d’une civilisation ayant maîtrisé langue et écriture. En fait, les Grecques, les Carthaginois et les Romains ont considéré les survivants des peuples Libyco-berbères (Les Nasammons en Cyrénaïque, les Garamantes à Jarma du Fezzan Libyque, les Gétules du désert Algérien) comme des sauvages incapables de se gérer en Etat-royaume, en les gommant de leur histoire rapportée et défigurée par les auteurs latins du début du millénaire.
Au contraire des vestiges des Pharaons, la disparition brusque et presque totale des vestiges des Libyco-berbères s’expliquerait par la tombée d’une météorite dans le désert septentrionale, dont les traces de fragments sont encore visibles dans le désert Libyque. Aussi dévastateurs, les Français colonisateurs du 20ème siècle, par leur expériences d’explosions nucléaires dans les grottes du désert Algérien, ont fait subir aux vestiges Libyco-berbères autant de destruction que par la météorite du 3ème millénaire avant JC, et sont, de ce fait, redevables d’excuses et de redevances morales et matérielles pour le tort causé au patrimoine mondial, et pour les effets néfastes du colonialisme envers les peuples de la place.
Du tort causé par les colonialistes français à celui des anglais, il n’y a qu’un petit pas à franchir et c’est ce qui m’amène à poser des questions au prince Charles de Galles:
-.est-il en mesure d’identifier l’origine de la plante en figure 02?
- a-t-il des nouvelles sur la descendance du pur-sang arabe que le Bey Ahmed 1er (1837-1855) a offert à son arrière-grand-mère, la reine Victoria d’Angleterre?
-.et pour l’essentiel, lui demander, de citoyen tunisien à citoyen britannique, de faire un humble geste pour concrétiser le slogan de «Contre l’oubli» pour le tort causé au patrimoine de Tunisie par son compatriote, un officiel britannique qui a dévasté le Mausolée Libyco-berbère de Dougga du temps de sa grand-mère, la magnifique reine Victoria.
Pour ce faire, je l’invite, loin du protocole, à:
-visiter le site antique de Dougga, classé par l’Unesco, le seul site qui témoigne, sur le même lieu, de vestiges romains et Libyco-berbères. ,
-siroter un thé à la menthe, non pas à Sidi Bou Saïd que j’ai délaissé depuis l’ère des arrivistes de Ben Ali et leur atteinte au patrimoine, mais dans un quartier modeste de la Medina de Tunis sous la brise d’une «Inba», un arbuste rampant à raisin. Et pourquoi pas, discuter du retour en leur lieu d’origine, des inscriptions Libyco-berbères «détenues» au Musée de Londres.
Enfin, assez de rêveries.
Avant de clore, je veux rappeler que le slogan originel de «Contre l’oubli» émane de M. Jean Paul Barbier-Mueller, auquel j’ai consacré un autre article sur ce blog en date du 01.05.2019, un artiste humanitaire, grand collectionneur, fondateur du «Musée Barbier-Mueller» à Genève et de la «Fondation Barbier-Mueller pour la culture» dont l’objet est de reconsidérer tous les groupes ethniques minoritaires oubliés et balayés par l’histoire et de remettre en relief, contre l’oubli, leur culture, leur mode de vie et coutumes.
Monhel
ARTmedina-tounes
Copyright
Références:
 (1) Poinssot Claude, Salomonson Jan-Willem.= Le mausolée libyco-punique de Dougga et les papiers du comte Borgia. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 103ᵉ année, N. 2, 1959. pp. 141-149;
doi : https://doi.org/10.3406/crai.1959.11016 
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1959_num_103_2_11016 
. (2) Chabot Jean-Baptiste = Les inscriptions puniques de Dougga. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 60ᵉ année, N. 2, 1916. pp. 119-131;
Doi:https://doi.org/10.3406/crai.1916.73684   https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1916_num_60_2_73684 
*APTEC-tounes

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